Livre de bord, page 44

Il y a quelques jours alors que j'avançais les travaux de rénovation du bateau avec mon compagnon de voyage je me suis arrêtée quelques instants pour passer ce grand changement de vie en revue, dirais-je ma vie dans son intégralité ?

Imaginez un montage complexe de roulements métalliques qui fonctionnent chacun l'un avec l'autre un peu comme des pièces d'horlogerie et vous aurez une idée de l'état de mon cerveau à ce moment là, bien sûr vous accélérez légèrement le roulement parce qu'une vie ça ne se déroule pas en quelques secondes, je dirais que ce sont des instants choisis

Il y a quelques mois en arrière j'ai pris un risque ou plutôt plusieurs et ils ne furent pas sans conséquence sur la vie de mes enfants mais aussi de mon ex qui ont du reconstruire leurs existences autrement, pour eux comme pour moi c'était un bouleversement, aux fêtes de fin d'année ma fille m'a appelée et m'a dit "maman, ça nous a fait tout drôle de fêter Noël alors que tu n'étais pas là, il nous manquait ta présence"

Je n'ai pas pensé au psyché des uns ou des autres parce que je voulais avant tout penser à moi, j'avais tant pensé aux autres que je me sentais vide de tout, mon existence ressemblait à un brouillard épais que rien ne venait éclaircir, j'étais devenue une ombre 

J'ai regardé mon compagnon et tout s'est mis à tourner dans mon esprit, et si j'avais pris le mauvais chemin, si je m'étais trompée, si mes choix d'aujourd'hui étaient judicieux, les doutes se sont mis à m'envahir et lorsque les doutes s'en mêlent ou s'emmêlent c'est le début du grand bazar, ils étaient là pour me dire que jamais je ne retrouverais la stabilité et la quiétude de la vie d'avant, ma carrière s'est arrêtée brusquement il y a quelques années, que me restait il aujourd'hui ?

Enfant j'ai souvent fait ce rêve, il revenait à des moments que je ne saurais situer, je suivais un chemin sous un soleil franc sans être brûlant en suivant une jolie barrière blanche, un peu plus loin j'ai trouvé un petit portillon qui ouvrait sur une clairière ensoleillée, des collines au loin donnait à l'ensemble une impression de tranquillité et de douceur incomparables... J'y suis entrée et je me suis assise sur l'herbe épaisse, je suis restée là à contempler l'horizon...

Puis je suis sortie, j'ai refermé le portillon et j'ai continué mon chemin sur quelques pas jusqu'à ce croisement, d'un côté le chemin fait de sable doux et la barrière blanche à droite tandis que sur la gauche un chemin fait de cailloux grossiers, d'herbes folles et d'ombres inquiétantes, des arbres haut éteignant la lumière du soleil...

Après quelques pas je me suis arrêtée et j'ai longuement réfléchi, allais-je prendre le chemin ensoleillé ou celui chargé d'ombres, c'est ce chemin que j'ai pourtant suivi pensant que j'aurais la chance de changer des choses et en bouleverser d'autres, suffisamment pour voir les herbes folles disparaitre et le soleil faire revivre ce chemin sombre chargé d'ombres, une décision lourde de conséquences que ma tête encore jeune pouvait ignorer, si j'avais su, mais ne dit-on pas qu'avec des si et des peut-être on peut tout changer, non assurément

J'ai retrouvé ce chemin ensoleillé, cette barrière blanche, ce portillon devant lequel mes pas m'avaient amenée, j'ai posé ma main et je l'ai ouvert doucement, presque avec délicatesse de peur que tout s'arrête, j'ai retrouvé avec quiétude ma clairière et le soleil qui brillait, je me suis assise, rien n'avait changé, c'était juste moi qui avait vieilli, alors j'ai su qu'il me faudrait prendre bientôt une décision, la vie m'offrait une seconde chance, il me fallait la saisir à bras le corps et ne pas la lâcher

J'ai eu le cran et le courage de le faire, tout quitter n'a pas été simple mais bon sang, je l'ai fait, j'ai fait ce choix sans m'occuper des conséquences et ses répercussions, je l'ai fait avec courage et force, par ignorance peut être, tout quitter a été pour moi une délivrance, une renaissance

Connaître les risques pour ne pas en prendre, penser à des pseudos récompenses parce que l'on a suivi les règles et que l'on a obéi, mais des règles édictées par qui ? au lieu de sortir du chemin que l'on nous a appris à suivre  on apprend à ne plus faire comme bon nous semble mais à être de parfaits pantins, qu'elle anorexie mentale nous oblige à tant de mièvrerie alors que le chemin tout tracé par la société n'est qu'illusion

Comment s'améliore t'on autrement que dans l'oeil des autres, où se situe notre libre arbitre dans ce monde calibré et fermé ? a t'on véritablement le choix ?

Si mon esprit était en plein vagabondage, mon coeur était quant à lui sûr de ces choix entrepris, ma volonté dominait, lorsque j'ai fait le pas sur ce chemin qui n'avait jamais été arpenté, j'ai retrouvé cet élan et puisé dans ce dernier la force pour continuer droit devant, le passé pourrait m'accompagner mais il ne m'envahirait plus, il resterait à jamais chargé des souvenirs à chérir, j'avais retrouvé ce chemin fait de sable doux sous mes pieds, la certitude d'avoir fait le bon choix était désormais inscrit en moi, j'étais sereine, j'étais libre

Aujourd'hui je laisse mes pas me guider vers des évènements qui me font me sentir vivante, je ne me pose aucun interdit ni aucune limite, j'y vais avec persévérance, sagesse et courage et je ne laisse personne me dicter ce qui est bon ou pas, je vais là où j'ai envie d'aller parce que c'est ce que j'ai décidé, personne ne m'influence, personne ne me dicte ma conduite

Je me suis juste rappelé que je pouvais faire des choses et pourquoi je les faisais, ça n'a pas de prix !